OIM 2024, journal de bord

La 65ème édition des Olympiades Internationales de Mathématiques se déroule à Bath, au Royaume-Uni, du 11 au 22 juillet.

L’équipe de France est composée de Serge Bidallier, Anatole Bouton, Erik Desurmont, Oscar Fischler, Solal Pivron-Djeddi et d’Auguste Ramondou. L’équipe est encadrée par Théo Lenoir (chef d’équipe) et Martin Rakovsky (chef d’équipe adjoint).

Le site officiel de la compétition se trouve ici.

Dimanche 14 juillet : About time

Hmmm le doux bruit de mon réveil ce matin à 6h15, m’annonçant le grand jour. et je ne parle pas de la fête nationale, complètement éclipsée par THE highlight : les Olympiades Internationales, ça commence aujourd’hui !
Je suis manifestement le seul à avoir pris les horaires au sérieux. Je retrouve Anatole et Auguste à Châtelet vers 7h50, puis le reste de l’équipe à Gare du Nord à 8h. Tous affichent un large sourire, mais ne nous y trompons pas, ils ne sont pas là pour visiter Stonehenge, mais bien pour terrasser les problèmes que l’Olympiade osera mettre sur leur chemin.

Comme le veut la tradition, je suis le seul accompagnateur de l’équipe, puisque notre chef d’équipe Théo est déjà sur place, rassemblé avec les chefs d’équipe des autres pays participants, afin de décider des sujets des problèmes de l’Olympiades. Nous ne pouvons pas entrer en contact avec lui, et nous ne le reverrons qu’après le deuxième jour d’épreuve.

On commence le passage à la douane. Et là, premier accroc : l’autorisation parentale de Solal ne convient pas aux douaniers. On nous pose tout un tas de questions, qui sommes-nous, qui est le responsable du groupe (ravi de constater que malgré les années qui passent, j’ai manifestement la même tête qu’un enfant de 17 ans. Si vous souhaitez vous faire un élixir de Jouvence à partir de cellules de ma peau, contactez-moi en MP), et qu’allons-nous faire en Angleterre. Au moment où je prononce la phrase “nous sommes l’équipe de France aux Olympiades Internationales de Mathématiques”, le douanier se fige, ouvre grand les yeux et nous dit “vous êtes des champions de maths ? Approchez-vous”. Voilà que, en plein devant le bureau de la douane, en dépit de l’impatience de toute une file d’attente, le douanier commence à nous raconter comment “les maths ont ruiné [sa] vie”. S’ensuit un récit de 5 minutes, particulièrement émouvant, sur la vie d’un homme encore traumatisé par la matière, mais qui nous a promis de retravailler tout ça à sa retraite. Je remercie Auguste pour avoir fait le small talk et donné régulièrement quelques réactions du genre “ah ouais”, “ah quand même”, “non mais les maths c’est vraiment dur”, “vous n’êtes sans doute pas le seul”…

Bref, finalement, on nous laisse passer sans plus de problèmes (les maths ouvrent beaucoup de portes, même celles de la douane quand on n’a pas une autorisation de sortie du territoire en règle). Serge me dit “l’an prochain faut tenter de passer la douane sans avoir d’autorisation du tout, voire si ça passe”.

Nous voilà dans l’Eurostar. Pour occuper les élèves, je leur demande à chacun de me résumer le Royaume-Uni en 5 mots chacun. Voilà donc l’image que possèdent nos meilleurs élèves de nos meilleurs ennemis : le Royaume-Uni c’est le Brexit, la Reine (you know she passed away right ?) et plus généralement la famille royale, le Loch Ness (big up à Nessy), le pudding, le Tea Time mais aussi Peaky Blinders, Mr Bean, et enfin le Common Wealth, ou plutôt comme dit Auguste, “l’impérialisme”. Oubliés Shakespeare, les Beattles, Charlent Dickens, James Bond, Sherlock et autres figures emblématiques…

On arrive à Londres, et j’ai *enfin* le temps de prendre une photo de l’équipe :

Chez nous, tout le monde est porte-drapeau

Les lecteurs les plus assidus n’ont même pas besoin de lire la suite pour reconnaître nos élèves. Bon, pour les présentations (de gauche à droite), Jeux Olympiques obligent, j’ai associé à chaque élève un athlète français (ça vous fait réviser comme ça, on va bientôt vouloir crier leur nom devant notre télé de toute façon):

-Erik : Il n’a pas encore fait d’Olympiades Internationales mais il a un gros potentiel (40/40 à la Balkan MO, c’est plutôt quelqu’un de solide sur ses prises). Il se compare lui-même modestement à Sam Avezou (escalade).
-Solal : C’est aussi sa première Olympiade Internationale, mais vous l’avez probablement vu au RMM ou médaillé d’argent à la JBMO. Il dévore tous les problèmes sur son passage, comme Léon Marchand (natation) dévore tous les records.
-Auguste, médaillé de bronze à la précédente Olympiade Internationale, médaillé de bronze au RMM en février, se voit plus comme Antoine Brizard (volley).
-Quand on sait qu’il est double médaillé d’argent aux Olympiades Internationales et médaillé d’or au RMM, il est difficile de ne pas comparer Anatole à Teddy Rinner (judo).
-Serge, médaillé de bronze aux Olympiades Internationales et au RMM, me fait beaucoup penser à Earvin Ngabeth (volley).
-Oscar, avec le même palmarès que Serge cette année, m’a dit, modestement, qu’il aimait beaucoup Félix Lebrun (tennis de table). En parlant de Félix Lebrun, l’équipe me dit de dire bonjour à un certain Arthur, qui se reconnaîtra probablement.

Reprenons le récit. L’effervescence provoquée par la finale de l’Euro, nous changeons un peu nos plans et décidons de nous rendre à Heathrow, où un bus affrété spécialement par les organisateurs de l’IMO nous attend. On emprunte donc le fameux subway.

En voyant ça, on comprend qu’ils appellent ça “the tube”
Les élèves dans le tube, avec notre mascotte
Ma grimace en me demandant comment Erik a fait pour faire tenir toutes ses affaires de 10jours dans seulement deux sacs à dos

J’en profite pour présenter notre mascotte, initiative de nos élèves : chaque élève possède un petit poussin jaune en peluche, quant à moi je suis en charge de la poule (pas besoin de vous expliquer la blague…). Comme quoi ils ont vraiment des idées brillantes…

À l’aéroport, on est reçu par le personnel de l’OIM, qui nous dit que le car part dans 15minutes, donc ça nous laisse autant de temps pour acheter de quoi manger. 15 minutes plus tard, on dévore nos sandwichs en attendant le “coach” (et non Oscar, il ne s’agit pas d’un entraîneur) sur le parking (attente qui aura pris en tout 30 minutes).
Les 2h de bus vers Bath passent trop vite, on a à peine de le temps d’échanger quelques anecdotes personnelles… on marque la différence avec les autres équipes du car, qui sont juste en train de somnoler.

Ils sont “à croquer”

L’arrivée enfin. Nouvelle photo d’équipe, cette fois-ci avec les polos d’équipes :

Un petit effet “famille Dalton” vous ne trouvez pas ?

On récupère nos goodies et on se rend à nos chambres (individuelles) pour déposer nos affaires. On y rencontre Alex, qui sera notre guide pour la semaine, et qui nous fait faire un petit tour du grand campus. Coup de coeur immédiat sur le hall sportif, dans lequel nous passons notre fin d’après-midi, à essayer divers sports de raquette. 

Les goodies. Le t-shirt est trop bôôôô

Le photo est floue parce qu’Anatole a un coup droit beaucoup trop rapide

Auguste et Erik découvrent le squash

Vous avez raté un match de badminton d’anthologie

C’est pas du sport, c’est Auguste et un canard, pour voir si vous suivez

On termine la soirée avec le dîner, devant la fameuse finale de l’Euro, en compagnie de l’équipe belge :

à gauche Robin et à droite Pierre-Akin, de la Belgique

La finale anime tout le restaurant universitaire, mais les anglais repartiront déçus. “En même temps, ils font tout à l’envers : nous on roule à droite et eux à gauche, nous on a le volant à gauche et eux ils l’ont à droite, donc forcément quand les espagnols tirent à gauche, le gardien anglais plonge à droite.”
Sur ces bonnes paroles, les élèves se couchent tôt pour caler leur sommeil avant les épreuves. À demain si vous le voulez bien.

Lundi 15 juillet : Tomorrow and tomorrow and tomorrow

Car oui, aujourd’hui n’est qu’une journée destinée à préparer demain. Au programme : sport le matin “pour s’épuiser physiquement” et cérémonie d’ouverture l’après-midi, la recette pour bien s’endormir le soir et être frais pour la première épreuve demain.

On commence avec le petit déjeuner, qui se distingue du dîner de la veille autant par sa qualité que par la quantité proposée. On a du sucré (bon les croissants français ne souffrent pas la comparaison, mais je salue l’effort de notre hôte) mais aussi du salé, avec des plats qui correspondant plus à ce qu’on attend d’un petit déjeuner anglais.

Mon plateau donne un aperçu de l’étendue de l’offre

Bref, après avoir fini de m’extasier, on décide de retourner faire du sport de raquette. Je m’essaye au squash avec Erik et Serge, tandis qu’Anatole offre à nos compatriotes belges le match de tennis de table qu’ils attendaient tant. D’après Anatole, c’est une victoire écrasante pour le joueur français. Son adversaire, Pierre-Akin, pourtant numéro 4 belge dans sa catégorie d’âge (à l’époque, avant qu’il se fasse les ligaments croisés, vous connaissez), dépité, affiche un seum à la Thibault Courtois (si jamais vous cherchez du sel, vous en trouverez plein dans les larmes de Pierre-Akin). Pendant ce temps, sur le terrain de badminton, Oscar, Solal et Auguste, dont le niveau est pourtant loin d’être déshonorant, affrontent un Australien plutôt… coriace (bon le match a tourné à la démonstration, nous ne nous étendrons pas plus sur le sujet).

Après tout ce sport, le besoin de prendre une douche se fait sentir (si si… sentir) et ça serait dommage de manquer d’hygiène dans une ville qui s’appelle Bath. Il est déjà l’heure d’aller manger. Je constate avec dépit que le menu du déjeuner ressemble fort au menu du dîner de la veille. Cela me fait penser qu’il serait bien qu’on aille faire des emplettes au market du coin, notamment de la nourriture pour les épreuves de demain (et de quoi grignoter pour moi…).

Vers 14h, on se rend vers la cérémonie d’ouverture, qui a lieu dans un théâtre de Bath, le Forum. On nous y fait poireauter pendant 1h30 (ça commence à 16h). Je me retrouve séparé des élèves, qui ont profité de tout ce temps pour prendre des photos avec un maximum d’autres équipes, pendant que, à l’autre bout de l’amphi, j’échange avec mes homologues belges, luxembourgeois et autrichiens. Petit jeu : identifiez les drapeaux sans lire la légende (niveau croissant de difficulté).

Alors, vous avez eu 4/4 ?

Avant de décrire la cérémonie, rappel du contexte : l’IMO 2024 devait se dérouler à Kiev. En 2022, l’invasion de l’Ukraine incite le comité d’organisation de l’IMO à organiser la compétition dans un autre pays. Le Royaume-Uni, qui avait déjà organisé l’IMO en 2019 à Bath, et avait donc l’expérience requise pour monter le projet en 2 ans, s’est porté volontaire, et nous voici donc à Bath.

Ayant ce contexte en tête, on ne sera pas surpris de voir la cérémonie commencer par un spectacle de danse traditionnelle ukrainienne, en l’honneur du pays “où l’on espère pouvoir bientôt organiser une nouvelle IMO” (Geoff Smith). Vient ensuite le discours de Geoff Smith, ancien président du comité d’organisation de l’OIM et big boss de la préparation britannique (si si, c’est ça son titre officiel). Discours très court et très drôle, je vous en partage la teneur : “Je vois que vous avez apprécié la météo (il a plu toute la journée, ndlr), nous sommes en été après tout. Hier soir vous avez pu apprécier les performances sportives de l’Angleterre, à l’image de notre météo. Tout ceci fait partie de nos traditions.” Un petit message de paix pour cette Olympiade et c’est parti pour la parade des équipes. Chaque équipe est invitée à monter sur l’estrade avec son drapeau et se fait applaudir par le public. Le public est composé des participants, des chefs adjoints… et des chefs d’équipe qui sont sur le balcon du théâtre et qui ne sont toujours pas autorisés à entrer en contact avec leur équipe parce qu’ils connaissent les sujets de demain et après-demain. En particulier, quelque part, au-dessus de nos têtes, dans la salle, respirant le même oxygène que nous, il y a Théo. Bref, revenons à la parade des équipes. Certaines équipes, au moment de monter sur l’estrade, effectuent des acrobaties, des petits gimmicks, dans l’espoir de recueillir plus d’applaudissement que les autres. D’autres équipes recueillent naturellement plus d’applaudissement, c’est le cas du Bhoutan, dont c’est la première participation à l’IMO de son histoire, de Oman dont l’équipe est composée de 6 filles et du Honduras, du Lichtenstein et du Nicaragua, pour chacun desquels l’équipe est composée d’un seul élève, qui a donc droit à son petit moment solo sur scène. Au moment pour l’équipe de France de monter sur scène, mon téléphone me fait défaut (pour sa défense, il a la moitié de l’âge des élèves). Je vous laisse apprécier le résultat par vous mêmes.

Photo de mon téléphone
Photo du téléphone de mon homologue luxembourgeois, un grand merci Bernard

Après la parade, on se lève tous pour écouter le vœu solennel que font les élèves britanniques, au nom de tous les participants à l’OIM, d’avoir une conduite honnête et intègre pendant la compétition (en particulier, on triche pas !). Le président et la secrétaire générale du comité exécutif de l’OIM montent alors sur scène pour nous parler… d’intelligence artificielle. Cette année, un chercheur aurait créé une IA qui aurait résolu une bonne quantité des problèmes de géométrie proposés aux Oympiades Internationales (pourquoi la géométrie et pas les autres problèmes ? ça serait trop long à expliquer). Toutefois, il n’existe à ce jour pas d’IA qui puisse obtenir une médaille d’or aux IMO. Le créateur d’une telle IA se verrait remettre un prix de 10 000 000 de dollars. Vous savez ce qu’il vous reste à faire si vous voulez gagner un peu d’argent. Le président conclut “les étudiants demeurent toujours plus intelligents que les machines !” (big up aux élèves qui n’ont pas de médaille d’or du coup…).

La fin de la cérémonie se déroule dans une cohue comme rarement on en a vue. Les élèves tentent tous d’apercevoir leur chef d’équipe parmi tous les chefs d’équipes penchés au balcon pour faire coucou de la main à leurs élèves. Moi et ma vue défaillante tentons nous aussi, désespérément, de retrouver Théo parmi cette foule. J’étais sur le point d’abandonner quand soudain Oscar pointe du doigt un visage au loin :

J’avoue que la photo est tellement floue que ça pourrait être Théo tout comme ça pourrait être le vendeur de crêpes en bas de ma rue
On rentre finalement sur le campus de l’université. Les élèves ne sont pas du tout fatigués, ils sont même surexcités. Croisant les belges avant qu’ils aillent enfiler leur Bath-ing suit et nager, on improvise une petite promenade sur le campus. Moi qui pensais que ça détendrait tout le monde, au contraire !
Solal, Anatole et Auguste, de vrais potos quoi
Les potos rencontrent un poteau (rassurez-vous, c’est pour de faux)
On passe devant la salle des épreuves, qui est gigantesque (600 tables en même temps ça prend de la place) :
Des chaises et des tables à perte de vue
Vers 21h, les élèves décident d’aller dormir, après avoir préparé leurs affaires pour le lendemain, scrupuleusement inspectées par mes soins. En même temps il y a des participants, je ne dirai pas qui, (Erik ton secret est sauf) à qui il est déjà arrivé d’oublier leur compas dans leur valise pendant une épreuve, donc on n’est ja-mais trop prudent. Je vous dis donc à demain pour ce premier jour d’épreuve !