Pour la première fois, une petite délégation d’élèves français a été invitée à participer à la “Abel Week” qui entoure chaque année à Oslo la remise du prestigieux Prix Abel à un illustre mathématicien, choisi par l’Académie des Sciences de Norvège. Heureuse coïncidence, il est remis à un Français cette année, le fameux probabiliste Michel Talagrand.
Nos ambassadeurs pour cette mission spéciale s’appellent Ruirong Li, Clémentine Pialoux, Anatole Bouton, Serge Bidallier et Oscar Fischler, et sont accompagnés par Aline Cahuzac. Nous remercions surtout Cordian Riener (Arctic University of Norway) qui a initié ce projet, ainsi que nos généreux mécènes : le CNRS, l’Ambassade et les Conseillers au Commerce Extérieur de la France en Norvège.
1 – lundi 20 mai : Oslo, on y vient et on y revient
Le réveil pique un peu mais tout le monde étant à l’heure, nous avons une avance fabuleuse pour notre vol matinal. Air France ne nous prend même pas nos bagages cabines en soute comme nous l’avons craint. Nous débarquons à Oslo à 11h50 sans plus d’aventure. Première idée reçue sur la Norvège battue en brèche : il fait 25°C, pas un nuage en vue, on se croirait à Rome, et personne n’a pensé à ses lunettes de Soleil sauf Oscar.
Ce début de voyage se déroule tellement bien qu’il en serait presque ennuyeux : pas de valise perdue, le Flytoget nous amène rapidement à quelques minutes de notre hôtel dans un wagon beaucoup trop luxueux, l’hôtel nous garde les valises jusqu’à l’ouverture du check-in… Nous ne pouvons même pas nous perdre puisque “c’est tout petit” et qu’Anatole et Oscar ont de bons souvenirs de l’IMO 2022.
Vient cependant le moment de chercher à manger. En ce lundi de l’Ascension, 14h approchant à grands pas, qu’allons-nous trouver ? Oscar nous recommande de très bons restaurants étoilés où Jane Street a payé l’addition en 2022, mais comme ils sont sûrement fermés à cette heure tardive, nous nous rabattons sur un restaurant très norvégien puisqu’il propose une “norwegian plant-based food” et a une carte 100% en anglais. Il est cependant au goût de tout le monde et nous permet de repartir revigorés pour suivre nos guides autochtones vers le Palais Royal et son jardin. Serge trouve que la statue devant le palais “a une tête de français”, mais nous apprenons qu’il s’agit d’un roi de Norvège, qui était effectivement français. Un point partout et un mystère entier, puisque nous nous détournons du problème pour observer les gardes du palais, qui passent selon nous trop de temps à se promener ou réajuster leur chapeau pour les prendre en photo correctement.
Preuve du temps estival, les jardins royaux sont envahis de plagistes qui prennent le Soleil en maillot. Malheureusement, nous avons oublié les nôtres (mais qui donc a rédigé de si mauvais conseils de bagages ?) et devons nous contenter de flâner entre de magnifiques lilas et autre botanique que nous n’identifions pas.
A part ses pelouses de bronzage, le parc contient aussi une série de statues qui semblent conçues pour être escaladées de mille façons possibles, qu’Anatole et Serge s’emploient méticuleusement à explorer exhaustivement. Nous découvrons par la suite que la série d’œuvres est bel et bien faite “pour les enfants” (ouf) mais aussi “par les enfants” à partir de dessins d’élèves de 6è qui nous semblent beaucoup trop doués pour être vrais.
Nous rentrons donner à notre toilette une petite touche de “business” de plus dans notre “business casual” pour la cérémonie devant le Abel Monument de l’après-midi, juste de l’autre côté du jardin du palais. Là nous croisons Fabrice Rouiller et Cordian Riener, mais la cérémonie commence rapidement et nous sommes absorbés par l’hymne donné par trois musiciens en uniforme. Plus captivant encore, deux énigmatiques personnages “moins-business-plus-casual-tu-meurs” sont assis en tailleur aux pieds des musiciens impeccables, manifestement pas perturbés le moins du monde par tout le cérémonial en œuvre autour d’eux. Le discours reprend la vie d’Abel à travers le tour d’Europe des monuments qui lui sont dédiés, il est donc très court, ce qui arrange tout le monde. De toute façon, les français avaient le mauvais rôle dans ce film.
A la fin, nous arrivons à nous approcher de Michel Talagrand, bien qu’intimidés, pour prendre une photo de groupe avec lui comme à peu près tous les participants l’ont fait avant nous. Je mets le pied sur le ruban de la couronne de fleurs et me vois prédire un avenir funeste dans les mathématiques pour la peine, ce sur quoi je joue l’esquive imparable “je ne peux pas plus mal tourner, je suis déjà physicienne”. Nous avons ensuite le plaisir de parler quelques minutes de la POFM à M. Talagrand qui se montre – poliment – captivé.
Tout ce grand monde nous abandonne cependant rapidement pour une réception qui ne nous concerne manifestement pas, hélas, et allons plutôt nous promener sur le petit port après un petit détour par la galerie de hauts-reliefs en bois de l’hôtel de ville. Ils racontent tous des histoires très Wagnériennes, quant à l’hôtel de ville, c’est un immense bâtiment en briques qui semble être en cours de ravalement de façade complet et tellement neuf qu’on jurerait qu’il fut construit hier.
Le port est petit mais les bateaux sont grands, très jolis aussi, avec deux ou trois mâts. Bel endroit pour faire une pause et profiter de l’interminable après-midi.
Nous nous remettons cependant en route vers l’heure du dîner pour aller chercher quelque chose d’ouvert qui convienne à tout le monde. Les recherches manquent d’être vaines quand nous entrons finalement dans une pizzeria – sandwicherie – sucreries en tous genre. Le serveur aussi aimable que perdu – et aussi efficace qu’anglophone – arrive à nous servir à la fin tout ce que nous avons commandé, au terme d’une bataille épique pour découper et mettre en pochettes cartonnées une immense pizza rebelle. De l’avis général, c’est une découverte, et nous n’irons pas la redécouvrir demain.
La soirée ne s’éternise pas mais avant de tomber de sommeil (le réveil de ce matin, rappelez-vous), certains tiennent assez longtemps debout pour retrouver la délégation d’étudiants allemands autour d’un curieux jeu de palets sur micro-billes, et fraterniser un peu.
2 – mardi 21 mai : mondanités mathématiques et gastronomiques
Les chambres sont vraiment très petites et, comme dit Oscar “ils ne doivent pas avoir la même notion de lit double qu’en France” mais tout le monde arrive à bien dormir et même à utiliser la douche-salle de bain, finalement plus pratique que son aspect ne le laisse envisager.
Le petit-déjeuner est assez classique pour un buffet d’hôtel, mais il y a quelques touches locales : les crackers complets, le pâté de foie, le maquereau en sauce ou encore un curieux “fromage brun” qui se sert en copeau depuis un gros bloc. Comme il nous faut encore nous mettre en costume, chaussures cirées, cravate, et que de toute façon un petit-déjeuner bis nous attend à l’Académie des Sciences, nous ne nous y attardons cependant pas trop ce matin. Bien nous en pris, car le rendez-vous à 9h10 pour départ à 9h15 au pire se termine bien-sûr par un départ à 9h20… C’est l’occasion de vérifier que l’on peut marcher vite tout en étant élégant, quitte à avoir un peu chaud et mal aux pieds (oui, la robe est un bon cheat code).
Heureusement, le programme à l’Académie des Sciences et Lettres de Norvège commence par un long accueil autour d’un service de café, boissons et autres mini-donuts – qui n’étaient certes pas ce que nous pensions trouver comme “drinks and pastries” dans un cadre aussi imposant de marbres et boiseries précieuses. Le dress code “suit or dress” a pris un petit coup dans l’aile au moment où les grands mathématiciens chargés de tenir les discours ont dû mettre le t-shirt de la Abel Week – version orange vif sinon c’est moins drôle – par-dessus leur plus belle chemise de costume.
Quoi qu’il en soit, nous en profitons pour tester le moelleux des fauteuils en discutant avec Fabrice, que nous venons de retrouver, en attendant la suite. La suite se passe dans la pièce voisine. Il s’y trouve tout autant de bois et de marbre, un poêle en céramique polychrome superbe, beaucoup de lustres et de tableaux, mais nous prenons un peu peur en voyant les tables déjà dressées pour le déjeuner : il est 10h passées de peu, nous sortons de notre deuxième petit-déjeuner, et nos estomacs ne sont pas encore prêts pour le bœuf Strogonoff…
Fort heureusement, nous avons en fait tout le temps de digérer puisque le programme suit avec une régularité d’horloge suisse le planning annoncé : 8 mathématiciens de tous horizons, plus Michel Talagrand, livrent un petit discours sur leur parcours – souvent insolite, toujours intéressant – et en tirent quelques “conseils à un jeune mathématicien”. Une petite pause au milieu nous permet d’explorer plus en profondeur les vénérables couloirs de l’Académie ou son balcon ensoleillé, de refaire un tour au buffet, ou comme Oscar et Serge de se faire traquenarder dans une interview par des professionnels habiles dans l’art du kidnapping. Je suis témoin de la performance d’Oscar qui a affronté micro et caméra sans bégayer, le tout in english please, avec un enthousiasme très communicatif.
Un généreux bœuf Strogonoff plus tard, nous repartons vers l’auditorium de l’université, qui est en fait une sorte de grand amphithéâtre de la Sorbonne mais à l’Université d’Oslo, et avec des fresques de Munch moins austères et plus colorées que les grandes allégories de l’humanisme républicain. Nous y retrouvons nos musiciens militaires d’hier et le même hymne, et avons l’occasion de serrer un certain nombre de mains importantes, comme celles d’Antoine Petit – directeur du CNRS, rien que ça – et de Florence Robine – ambassadrice de France en Norvège. Aussi, nous sommes fort déçus de n’avoir droit qu’à l’entrée du Kronprinz Haakon et pas à Sa Majesté Harald V, mais au moins nous sommes déjà debout pour l’arrivée de Michel Talagrand.
La cérémonie reprend un schéma auquel nos compétiteurs olympiques chevronnés sont désormais habitués : un groupe de musique sur une reprise de Jacques Brel, un discours, applaudissements, un peu de contrebasse, d’autres allocutions au micro, la remise du prix pour laquelle on fait tout ça, et encore quelques discours et une reprise de Edith Piaf pour la fin. Pour conclure, ayant pris le quota réglementaire de portraits de groupe sur le chemin, tout le monde traverse la place pour un cocktail dans le bâtiment d’en face. Le cocktail, notons-le, ne figurait pas dans le planning et certains commencent à avoir très hâte de changer de chaussures et de ranger leur costume pendant longtemps, si possible. Les organisateurs ont cependant du métier et savent comment susciter d’insoupçonnées réserves de patience, aidés par le pouvoir des petits-fours au saumon norvégien. Nous découvrons aussi le thé pétillant – mon nouveau soft préféré, avec le seul défaut que le champagne lui ressemble beaucoup pour qui ne se méfie pas et comptait rester sobre.
Le mini-reportage filmé sur le lauréat du prix Abel avec sa femme est très poétique et touchant mais aussi inspirant, de même que sa brève intervention au micro. A mesure que nous en apprenons sur lui, nous trouvons, je crois, le personnage de plus en plus admirable et sympathique. Entre deux coupes de pétillant, nous avons une nouvelle opportunité de l’écouter donner une petite interview-conférence en direct pour l’assistance, dans laquelle il est davantage question de son travail, sans entrer dans les détails du contenu de ses nombreux ouvrages.
Retournant au buffet, nous lions connaissances avec d’autres invités moins timides que nous : tandis que Serge, Anatole et Oscar discutent avec un jeune espagnol incroyablement passionné par l’IMO et qui en sait presque davantage qu’eux sur le sujet, un antique académicien sociologue tient à me vanter les mérites de l’astrologie. Alors que la conversation se noie dans les eaux troubles de la pseudo-science et que je n’ai rien demandé, j’ai droit à un diagnostic d’avenir gratuit – je vais commencer à les facturer – qui me prédit 1. une vie de réussite et de succès – chic – et 2. une vie personnelle misérable et de mauvaises fréquentations – moins chic. J’aurais sans doute eu bien d’autres précisions s’il ne tenait pas à “ne pas se mêler de ce qui ne le regarde pas” – loin de moi cette idée.
“Bref, passons” comme diraient certains, ceci semble un bon moment – de toute façon nos appétits ne peuvent pas faire honneur au buffet davantage – pour décréter un repli tactique vers l’hôtel, une bonne paire de baskets casual-casual et un t-shirt sans cravate.
Nous rentrons finalement assez tard à l’hôtel. Toutefois, une fois les chaussures en cuir neuf et le costume sombre troqués pour une bonne paire de shorts, nous sommes prêts à repartir explorer le grand Nord – où il fait toujours bigrement chaud. Direction l’Opéra dont nous faisons l’ascension, chacun à notre rythme, pour profiter de la vue imprenable sur le Fjord d’Oslo depuis son toit en terrasse. La baignade et toutes sortes de sports aquatiques semblent fort populaires, mais nous nous contentons d’un bain de pieds à la minuscule plage en contrebas de l’Opéra, sous la surveillance attentive d’une famille d’oies avec une flopée de poussins tout mignons.
Le Soleil a beau nous donner l’illusion d’un milieu d’après-midi de juillet, il s’agit d’aller chercher à dîner. As du Tripadvisor, Oscar nous guide avec assurance vers un restaurant italien qui semble plébiscité par tous les touristes de passage. L’affluence nous convainc de redonner sa chance à la gastronomie italienne pour effacer notre expérience d’hier, quitte à commander à emporter face au manque de places en salle. Nous repartons peu après les bras chargés de pâtes et pizzas, vers les quais de grands voiliers que nous avons repérés la veille. Anatole, Oscar et Serge ont la bonne idée d’acheter des pommes pour le dessert plutôt que du tiramisu pour nous donner bonne conscience.
Le crépuscule est à l’opposé de la mer malheureusement, mais nous profitons malgré tout des jolies couleurs roses autour de l’horizon. Un touriste en quête de restaurant encore ouvert à cette heure-ci – 22h passées – nous aborde l’air désespéré et surtout très envieux de notre étalage de victuailles. En bons clients, nous lui recomandons Mamma Pizza sachant qu’il est fermé, mais ne pouvons faire davantage que compatir à son désespoir. De notre côté, repus et satisfaits de notre choix, nous rentrons doucement vers l’hôtel autour de 22h30.
La table de nordic shuffleboard – le jeu de palets sur microbilles – est comme très souvent vide donc nous en profitons pour l’occuper le reste de la soirée.
2 – mercredi 22 mai : “Prenez des cours que vous ne comprenez pas, et vous deviendrez un bon mathématicien”
Ruirong, aventurière dans l’âme, teste le maquereau en sauce ce matin et nous le recommande. Nous sommes peu à suivre ce conseil d’audace, il faut dire que tester tous les modèles de viennoiseries prend déjà une bonne place dans l’estomac.
Direction le campus universitaire au milieu de la verdure au Nord-Ouest de la ville. La perspective de marcher 40 minutes au pas Aline motive un vote majoritaire pour la motion “tram 18”, d’autant plus que cela permet de ne partir qu’à 9h20. Nous sommes donc en chemin à 9h35, bien évidemment.
Citymapper n’est pas plus fiable sur les horaires de tram à Oslo que sur celles de la 91.06 à Massy, donc nous avons juste le temps d’arriver à la station que la rame arrive… et nous n’avons pas de tickets. Espérant très fort que l’on ne soit pas contrôlé et ayant une bonne expérience des amendes suisses pour mauvais ticket dans les trams zurichois, je me hâte d’acquérir nos titres de transports sur l’application… Victoire, nous sommes en règle pendant les 3 dernières minutes du trajet au moins – et notre conscience est sauve !
Nous sommes à l’heure pour l’ouverture des Abel lectures, inaugurées par le cours de Michel Talagrand. Du moins, nous l’espérons, mais à défaut des habituels panneaux fuschia du Abel Prize, les tentures sont plutôt aux couleurs palestiniennes, et il nous faut enjamber – délicatement – quelques étudiants allongés juste devant l’entrée de l’amphithéâtre sous des draps théâtralement maculés… Une fois rentrés, nous sommes heureusement rassurés d’être au bon endroit.
La pause café est plus saine que d’habitude puisque constituée essentiellement de fruits et de caféine. Nous y discutons toutefois avec notre compatriote du Abel Comitee. Le débriefing de la matinée est mitigé : pour qui a quelques années de prépa ou d’université derrière soi, les présentations sont très abordables mais probabilités et statistiques sont à peu près absentes des programmes de lycée ou d’olympiades. L’occasion est parfaite pour mettre en pratique le conseil de la veille : “allez aux conférences auxquelles vous ne connaissez rien, cela fera de vous de bons mathématiciens“. Et je constate avec admiration que même après des heures de cours incompréhensibles en anglais, les élèves sont encore en forme pour suivre de temps en temps – tout en faisant leurs propres mathématiques à côté.
Les cours reprennent l’après-midi après une petite pause sandwiches entre les parterres de tulipes luxuriants du campus. Nous espérons chaque fois que ce soit un peu plus appliqué ou compréhensible, mais contre toute attente c’est finalement l’exposé sur les “spin glasses” qui, en dépit de son titre abscons, se révèle beaucoup plus pédagogique. De mon point de vue, c’est une sorte de joli résumé – sans trop de calculs – du cours de physique statistique de 2A de l’X.
Pour une fois le programme ne se prolonge pas davantage, tout au plus discutons nous avec quelques compatriotes croisés par hasard à la sortie de l’amphithéâtre. Nous rentrons en tram, et comme il nous reste deux bonnes heures avant de repartir pour le cocktail, nous en profitons pour explorer un nouveau quartier de la ville encore inconnu : nous avions vu le port historique en face de la mairie, le port moderne en face de l’Opéra vers l’Est, et il nous restait à longer la promenade commerçante côté Ouest. Un bon nombre de baigneurs plus ou moins aventureux – jusqu’au saut périlleux depuis le quai tout de même – occupent déjà toute la plage, il faut croire que nous sommes déjà à l’affluence maximale ou bien qu’en été les minuscules morceaux de sable sont plus bondés que les criques des Cinque Terre.
Je fais l’erreur de préciser “cette fois ce n’est pas dramatique si l’on a un léger retard mais tout de même ce serait impoli” après “rendez-vous ici à 18h25”. La cause explicative du phénomène m’échappe encore complètement, mais une loi phénoménologique devrait être assez facile à formuler d’ici la fin de séjour. Valeur observée en l’occurrence : 20 minutes de retard à l’arrivée. Nous commençons à connaître l’Académie mais avons enfin droit à sa présentation historique : construite en 1896, la maison fut rachetée il y a plus d’un siècle par l’Académie des Sciences et Lettres de Norvège, et sert encore aujourd’hui de lieu de réunion pour la prestigieuse institution.
Après cette introduction, la soirée gagne en intérêt avec l’ouverture du gargantuesque buffet qui nous permet de tester, entre autres, de nouvelles spécialités norvégiennes comme la viande de renne en salaison ou encore une recette de pavé de saumon frais. Le thé pétillant est encore de la partie. La clochette retentit à nouveau à 20h30 pour signifier aux invités éparpillés dans tous les salons du petit bâtiment – tout petit en fait – que quelque chose de musical va commencer bientôt. Effectivement, après un numéro vocal impressionnant mais également un peu déroutant – on reconnaît des mots français au milieu d’un débit de syllabes incompréhensibles – deux chanteuses nous interprètent l’air de Carmen de façon très théâtrale, une sélection d’Edith Piaf mais avec une voix claire et vibrante de soliste d’opéra, l’air de Dalila mais dédicacé à Michel Talagrand, et un très beau duo pour mezzo et soprano dont le nom m’échappe. L’animation a plu à tout le monde mais on me fait remarquer que mes goûts musicaux sont en fait vraiment ceux de la génération des lauréats du prix Abel… Il en faudrait davantage pour me détourner d’Edith Piaf cependant.
Un des objectifs de la soirée était de convaincre “les allemands” de 1. jouer une revanche au nordic shuffleboard et 2. faire un foot aux jardins royaux. Malheureusement, n’arrivant pas à désigner l’émissaire de cette mission ni le message qui lui serait confié, le projet est doucement abandonné au profit d’une visite des galeries de portraits – nous découvrons Nash et Wiles entre autres parmi les anciens lauréats du Prix Abel, et cherchons à repérer les français. Ce faisant, nous arrivons à éviter le fameux magicien de la veille, et ne tombons que sur un ingénieur indien un peu dur bavard avant de rentrer sagement chez nous. La pleine lune brille toujours majestueusement au milieu de la nuit à peine en train de tomber.
3 – jeudi 23 mai : des avantages de l’improvisade
Jusqu’à midi, notre programme est tout aussi millimétré que les jours précédents : nous avons rendez-vous à 10h30 en business casual, dans le hall, avec notre gentil organisateur de l’Académie Eirik Lislerud pour nous conduire vers la remise du Prix Holmboe. A l’issue, nous devrions avoir une réception à l’Institut français, mais la clarté du planning se délite progressivement à partir de là.
A 10h30 donc – heure française des réveils difficiles – nous sommes “à l’heure” pour le départ vers l’école de la cathédrale – un des plus anciens établissements d’enseignement d’Oslo. Heureusement, Eirik nous a bien conviés à l’heure française, c’est-à-dire avec une confortable avance que même nos champions n’arrivent pas à entamer significativement.
L’école en question est un beau mélange de bâtiment historique et de lycée moderne, et c’est en tout cas ici que le prix Holmboe est remis depuis sa création puisque le mathématicien qu’il célèbre y fut le professeur et mentor d’un certain Abel. Ce sont d’ailleurs les élèves qui jouent avec un grand professionnalisme les maîtres de cérémonie. La cérémonie met également à l’honneur les lauréats du concours Abel pour les élèves norvégiens. Nous ignorons en quoi consiste le concours, mais les gagnants – une équipe de quatre élèves de troisième – nous offrent une petite représentation théâtrale autour de problèmes mathématiques, assez bien composée et pleine d’humour. La chorale de l’école et leurs robes façon Hogwarts ou encore l’incroyable pianiste qui clôture l’événement sont aussi très appréciés.
Les longs discours de remise du prix Holmboe sont moins drôles mais plus professionnels – la ministre de l’éducation nationale s’est visiblement investie – et assez touchants parfois. Enfin, divers “young winners” sont appelés sur scène pour recevoir un livre des mains de Michel Talagrand, qui était encore de la partie. Nos “young winners” sont un peu perplexes sur ce qu’ils sont censés avoir gagné pour mériter ce titre, mais ils n’ont heureusement pas de discours à donner.
Un minibus nous attend à la sortie pour nous conduire à l’Institut français. C’est heureux, car nous aurions autrement risqué de nous diriger vers la résidence de l’Ambassade où la réception devait avoir lieu à un moment, avant d’être déplacée pour cause d’indisponibilité de l’ambassadrice. Nous sommes chaleureusement accueillis, avec les jeunes comédiens du concours Abel, par Frédéric Bessac, attaché scientifique de l’Ambassade, et deux étudiantes en stage dans le service en charge des affaires universitaires et scientifiques. Les discours sont plus courts ici, il y a un déjeuner – nous repartons même avec un dîner à emporter – et nous sommes ravis de pouvoir parler avec des français et d’en apprendre plus sur ce que fait une ambassade. Nous devons toutefois ne pas trop nous attarder car le minibus doit nous amener rapidement au lycée français René Cassin où nous sommes attendus à 14h.
Le rang du fond du minibus déclare soudain que cette situation de “overdress” permanent n’est plus tenable : non à la dictature des chemises et des vestes – quand Oscar a spontanément annoncé prendre sa veste, qui étais-je pour m’y opposer – alors que depuis ce matin le style étudiant domine clairement jusqu’à l’ambassade ! Surtout, quand nous allons dans un lycée où la seule chemise sera certainement dans le bureau du proviseur. Le coup était tellement bien préparé que le matériel était à bord depuis le début : 78 secondes et quelques écarts à la sécurité routière plus tard, les chemises avaient disparu au profit de t-shirts. Pour faire bonne mesure, ils profitent même d’un arrêt éclair à l’hôtel pour ressortir les shorts.
Le chauffeur nous dépose devant la grille d’un bâtiment qui ressemble fort à un établissement scolaire et a la plaque “lycée français” devant, mais qui est visiblement une école primaire. Une petite recherche apprend à nos deux guides – à gauche sur la photo – que le site de René Cassin que nous cherchons est en fait une antenne située à un étage d’un immeuble bien caché à l’autre bout de la ville, nous en sommes donc quitte pour une demi-heure de bus. Le professeur de mathématiques qui nous ouvre n’a pas l’air de nous en vouloir et nous discutons ainsi un bon trois-quarts d’heure avec sa classe de terminales, au sujet des olympiades principalement mais aussi de la Abel Week. Même la proviseure se joint brièvement à nous avant que nous devions repartir vers notre activité suivante – j’ai réservé une mini-croisière sur le Fjord pour l’après-midi.
Comme les élèves ont eux aussi justement terminé les cours, ils se proposent de nous guider tout en poursuivant des discussions diverses. Quelques arrêts de bus plus loin, il y a déjà des projets de parties de foot, baignades et conseils de shopping pour ce soir : je sens que l’organisation de l’après-midi m’échappe, mais ce n’est pas pour me déplaire.
Pour le moment, nous profitons d’une heure et demie de promenade sur le fjord, sur l’équivalent business class premium du bateau-mouche, et un bon vent de vitesse nous fait grand bien dans cette chaleur. La balade offre à la fois de très jolies vues sur la ville depuis de nouveaux angles, et un aperçu de parties totalement différentes de ses environs : petites îles peuplées de maisons toutes semblables en trois tons rouge, ocre et vert, minuscules criques avec une petite plage sauvage, tout une foule de voiliers, kayaks, pneumatiques, bateaux-bus, monstres marins de quelques milliers de cabines amarrés aux quais…
Au retour, nous rentrons par l’avenue commerçante du centre-ville entre l’Opéra et notre hôtel. Plusieurs haltes s’imposent : une première pour acheter des maillots de bains aux garçons – hors de question de se baigner n’importe comment voyons, le dress code enfin – une suivante au marchand de glace pour prendre des forces avant d’aller faire du sport, et une dernière au magasin de souvenirs. Nous retrouvons en chemin une des élèves de la classe, qui a décidé d’être notre dévouée guide pour la soirée et notamment de nous aider à retrouver le terrain de foot où Anatole, Serge et Oscar sont censés retrouver certains de ses camarades pour cette fameuse partie de foot. Clémentine et moi venons pour cette fameuse partie de baignade qui doit aussi avoir lieu à un moment. Grâce à Andrea, nous arrivons sans encombre au tennis club où il y a bien un terrain de foot, en dépit des indications assez cryptiques et des bus quantiques qui transitionnent sans prévenir de l’état “dans 5 minutes” à l’état “passé depuis 2 minutes”.
Le foot se prolongeant, il est déjà tard quand nous rejoignons la plage mais après avoir acheté un maillot et avoir fait tout ce trajet, renoncer n’est pas une option. L’eau est “drôlement plus chaude qu’en Bretagne” selon Clémentine, “brrr glagla” selon moi, et “encore meilleure que le mois dernier” selon Andrea. Aussi chaude soit-elle, je me dévoue pour sortir en premier et immortaliser quelques sauts depuis la plateforme flottante – ou essayer du moins. Nous rentrons avant la tombée de la nuit par un bus tout neuf – comme tout ici – et sommes contents d’avoir notre dîner tout prêt et copieux, il y a même de quoi inviter notre guide. Nous avons bien du mal à rendre la politesse à ce niveau d’excellence, mais comme elle n’a pas pu réviser son DS de spé maths de demain à cause de nous, quoi de mieux qu’une revue expresse des équations polynomiales complexes pour finir la soirée ?
5 – vendredi 24 mai : ô Paris, ô ciel gris
Air France nous a gentiment informés vers 3h30 que notre vol serait retardé d’une heure au décollage, mais cela ne nous permet malheureusement pas de dormir une heure de plus : le petit déjeuner ferme dès 10h. Pourtant, les révisions s’étant poursuivie jusqu’à avoir épuisé les tréfonds du programme du bac, nous aurions bien profité d’une grasse matinée…
Nous nous donnons pour objectif de partir à 11h, ce qui nous permet de nous mettre effectivement en route dès 11h20 – mais pas de rejouer une manche de nordic shuffleboard. Comme à l’aller, le trajet par le luxueux Flytoget nous amène à l’aéroport, où nous enregistrons cette fois même les bagages cabine en soute gratuitement. Personne ne se fait arrêter aux contrôles ; nous ne sortirons en fait pas une seule fois notre pièce d’identité de notre sac aujourd’hui. Pas de bagage perdu, pas de correspondance manquée, ce voyage est décidément presque ennuyeux. Heureusement, la machine à trier les valises “rien à signaler” et les valises “veuillez m’ouvrir ça s’l vous plaît” offre une distraction et les paris vont bon train sur le devenir de chaque bagage arrivant devant la trieuse fatidique.
Le temps de déjeuner d’un sandwich, nous embarquons par la porte arrière de notre A320 alors que quelques gouttes semblent commencer à tomber… peut-être un signe que le grand soleil qui règne encore va bientôt céder sa place aux orages ? Nous ne le saurons pas, puisque tout juste deux heures plus tard, nous touchons terre à l’aéroport de Roissy sous un plafond de petits nuages bien gris, bien de chez nous.
Cette expédition fut une belle expérience et nous espérons revenir l’année prochaine pour le Prix Abel 2025. Merci à la fabuleuse équipe de cette aventure inédite !