A Oslo pour la remise du Prix Abel 2025

Comme l’an dernier, 5 élèves de la POFM sont invités à la semaine d’événements organisée par l’Académie de Norvège des Sciences et Lettres, à Oslo, à l’occasion de la remise du Prix Abel. Ce sont pour cette édition Maxime Chevalier, Pierre Akin Dürrüoglu, David Lei, Ruirong Li et Margot Sur–Cortier qui participent à cet événement, avec Aline Cahuzac au reportage illustré.

Dimanche 18 mai – rendez-vous d’aéroports

D’où peut-on venir un dimanche midi pour se retrouver à l’aéroport de Paris Orly ? Margot arrive par train de Nancy, David interrompt ses vacances, Aline sort aussi tout juste d’un train de nuit, mais tout le monde est à peu près à l’heure (placement de produit au bénéfice de la ligne 14).

Notre avion, lui, ne l’est pas tout à fait, ce qui commence par un changement de porte d’embarquement, un embarquement très lent, puis un temps interminable pour “nettoyer la soute suite à la rupture d’un flacon d’alcool sur le vol précédent”. 45 minutes plus tard, le pilote nous annonce avec assurance que nous décollons enfin pour de bon (avec une soute récurée au coton-tige certainement) pour Copenhague. Les passagers se récrient bruyamment et le pilote change d’avis, nous allons plutôt à Oslo, ce qui nous convient mieux.

Bien qu’il ait annoncé un rattrapage du retard en vol, 35 des 45 minutes de retard ont survécu quand nous atterrissons, après une petite séance de turbulo-thérapie au son délassant du bip-bip-bip d’une alarme qui a un certain sens de l’à propos. Nous retrouvons la valise de Ruirong, et Akin nous trouve rapidement au milieu du flot de passagers ; il est arrivé de Bruxelles juste avant nous. Jusqu’ici, la seule victime du trajet fut le flacon de shampoing de David qui, sur les bons conseils d’un employé de l’aéroport, a tenté de frauder la limite de volume au contrôle des bagages. Il ne s’est pas fait prendre le moins du monde, mais le contrôleur a dû trouver le shampoing à son goût puisque le flacon a été simplement kidnappé par la machine sans laisser de trace.

Notre hôtel nous accueille au bout d’un petit trajet de Flytoget (“c’est comme le RER B mais grand, propre, confortable et sans les passagers ni les 36 arrêts”) et une traversée des jardins du Palais royal. D’où le Smarthotel tire-t-il son nom ? Est-il “smart” comme la tablette (très peu patiente) de la réception ? “Smart” comme la voiture qui fait à peu près la taille de nos chambres ?

En dépit du grand Soleil de milieu d’après-midi dehors, il se fait tard et l’heure est venue d’aller chercher à dîner. La fête nationale de la veille a dû se terminer tard, puisque les rues sont absolument vides, le calme règne, de petits drapeaux norvégiens pendent et surgissent de partout, les restaurants sont soit fermés soit déserts. Nous optons en tout cas pour un banquet à emporter dans un restaurant indien bien noté (et désert). Une dame d’une grande amabilité tente de décourager Akin de prendre un plat surépicé, mais il gagne et on nous sert à boire en prévision de l’incendie, certainement. Nous allons pique-niquer au bout d’une petite jetée dans le port, face au Fjord qui évoque à la fois une mer et un lac, mais fait un très beau paysage de soleil couchant.

Lundi 19 mai – où l’on rencontre Masaki Kashiwara

Lorsque le premier rendez-vous de la journée est à 10h30, il y a trois types de personnes :

  • “Chic, j’ai le temps pour travailler !”
  • “Chic, j’ai le temps pour un footing !”
  • “Si le petit-déjeuner ferme à 10h, c’est que l’on peut arriver à 9h59 n’est-ce pas ?”

Nous laissons le lecteur identifier quel groupe correspond à qui.

A 10h30, départ avec les équipes Hongroises et Allemandes pour la Oslo Katedralskole, où est remis le prix Holmboe. Ce monsieur fut le jeune et génial professeur du plus jeune et génial encore N. H. Abel, donc, logiquement, le prix en son nom récompense le meilleur enseignant de mathématiques de Norvège, les candidatures étant portées par les élèves et collègues. La cérémonie fait beaucoup participer les élèves du lycée, qui font l’animation, la musique… Nous y rencontrons aussi le récipiendaire du prix Abel, le japonais Masaki Kashiwara, qui remet à Margot, au nom de l’équipe, le roman Fermat’s Last Theorem.

Nous attendons ensuite un bus qui doit nous emmener au Norwegian Computing Center. Une lycéenne s’avise de sympathiser avec nous mais nous avons mutuellement un mal fou à comprendre un mot de temps à autre, ce qui crée de gros fous rires de gêne. De ce que nous comprenons : il y a beaucoup de français (3) dans sa classe, on n’aime pas les français en Norvège, souffrons-nous beaucoup de discrimination anti-français ? que voudrions-nous visiter à Oso, a-t-on la moindre idée de là où l’on va ? Ce dialogue aimablement surréaliste prend fin quand Eirik nous dirige vers le métro faute de bus escompté.

Le Norwegian Computing Center se trouve sur le campus de l’université, sous une serre qui fonctionne à plein aujourd’hui à midi, et où l’on mettrait plutôt des orangers et des palmiers que des ordinateurs. Fort heureusement, ce n’est pas un centre de calcul comme son nom pourrait l’indiquer, mais plutôt un petit centre de recherche. Un petit buffet nous attend pour déjeuner pendant que des chercheurs nous racontent leurs travaux, qui portent sur plusieurs applications des mathématiques à des problèmes assez concrets : santé, analyse d’images, exploration pétrolière géologie, diverses sujets liés à l’IA.

Il nous reste un petit temps libre avant d’aller à la cérémonie de dépôt de gerbe au Monument Abel, juste le temps d’aller voir l’Opéra et acheter des maillots de bains manquants pour la sortie baignade post-cérémonie. Les cérémonies sont ici courtes, minutées et planifiées dans les moindres détails, et celle-ci termine après trois petits discours (presque identiques à ceux de l’année dernière, la vie et l’œuvre d’Abel n’ayant pas beaucoup changé entre temps), un intermède de mini-fanfare à trois et quelques photos avec le lauréat (qui s’y prête de bonne grâce).

Puis direction la baignade. Nous prenons un chemin sous-optimisé mais qui nous permet d’admirer de près tous les bateaux du port puisque nous longeons les quais sur 3 kilomètres. La plage est miniature, surtout à coté de l’immense opéra au pied duquel elle se situe, et, petite déconvenue, elle est bondée (aujourd’hui, il y a bel et bien du monde dans les rues, et pas qu’un peu). Deuxième déconvenue, il y a un solide tapis moussu l’algues vert clair qui chatouille et masque l’escalier de pierre qui forme le fond. Troisième déconvenue, elle est bigrement froide, mes aïeux.

Qu’à cela ne tienne, Margot qui s’est baignée à Dunkerke et n’a peur de rien tente l’aventure, concluant que nous avons affaire à un cru “eau peu salée de port, calme, environ 14°C”. Nous rentrons après ce bain vivifiant, chercher de quoi remplir nos estomacs affamés : la pizzeria de l’année dernière est toujours ouverte, mais leur cuisine a déménagé de quelques mètres pour travaux et leur carte est réduite. Ceci nous rend le choix plus facile et nous repartons pour un pique-nique à notre spot hamac-mouettes-bateaux favori.

La lumière du soir a un don particulier pour s’éterniser ici, on a l’impression que la lumière se fige entre 18 et 22h, et devient propice aux interrogations philosophiques comme “Mais qu’est-ce que l’on fait ici en fait, de la figuration dans un tas de cérémonies qui ne nous concernent pas ?” Il y a deux réponses à cette question : la première est trop longue pour ce soir, la deuxième est : révisez votre nœud de cravate et cirez vos chaussures, parce que l’on rencontre de la royauté demain.

Mardi 20 mai – Où l’on rencontre le Roi Harald V de Norvège

Joyeux anniversaire David ! Pour bien commencer la journée de ses 18 ans, son shampooing a refait surface au milieu de ses affaires, et l’hôtel lui a offert un paquet de cartes et des caramels norvégiens.

Le côté moins sympathique est de devoir se lever “tôt” pour partir à 9h30, au pas de course pour rattraper 6 minutes de retard (qui l’eût cru) et rejoindre l’Académie, petit bâtiment remarquablement dense en fresques, statues, plafonds, meubles et boiseries du plus pur Romantisme. Nous profitons de nos 2 minutes d’avance pour prendre le Soleil sur le balcon, discuter avec quelques étudiants norvégiens et allemands et prendre en photos nos tenues de bal. La matinée est consacrée à une suite de brefs et très vivants discours par différents mathématiciens, qui réussissent l’exploit de ne pas trop parler de leur théorie mais plutôt de leur parcours, de leurs conseils pour étudier et s’épanouir dans les sciences, de leurs rêves et projets, ce qui semble beaucoup inspirer les élèves.

Une nouvelle vint alors troubler cette sérénité : la fiche de questions que l’on nous a glissée plus tôt s’avère n’être pas à destination des intervenants mais pour que les élèves puissent se préparer à être interviewé eux-mêmes. Calamité, catastrophe, misère ! Au terme d’une partie de pierre-feuille-ciseaux digne des duels les plus mythiques de Pour Une Poignée de Dollars, Maxime est désigné victime. Akin le suit pour immortaliser tout ceci “pour le compte-rendu” bien sûr ; s’ensuivent quelques allers-retours (pendant que nous finissions tous les gâteaux de la pause café en profitant de leur absence) pour récupérer une veste, une cravate, etc. Les journalistes sont de fins joueurs puisque finalement ce sont Maxime et Akin qui ont été interviewés ensemble, eux-mêmes se chargeant des photos pour le compte-rendu…

Rira bien qui rira le dernier : voilà que le président de l’Union Africaine pour les Mathématiques est francophone (exclusif d’anglophone) et qu’Aline se retrouve plus ou moins désignée volontaire pour traduire au pied levé, ce qui lui permet de constater que retenir 3 phrases avec des noms et de longs titres, sans faire absolument n’importe quoi, c’est un métier. Heureusement les élèves veillent au contrôle qualité, et le moins possible fut finalement Lost In Translation. Après ces émotions, le déjeuner nous est servi de manière un peu brusque (disons que les assiettes déposées tout sauf délicatement devant nous et que les serveurs n’invitent pas particulièrement à la discussion ou aux questions), mais il est bon, même après avoir passé la matinée à manger et boire.

Ainsi revigorés, nous prenons le bus pour l’auditorium de l’Université (en centre-ville) pour la cérémonie. Plus précise qu’un train suisse comme toujours, celle-ci se compose d’une petite heure de discours d’une grande spontanéité donc le texte était donné aux invités sur un livret, de brefs intermèdes musicaux, d’applaudissements et d’une fugace intervention du fameux roi sur la scène pour remettre le prix au lauréat. Puis, nous avons le temps de refaire quelques photos dans le majestueux décor de colonnades inondées de Soleil, avant d’entrer dans le non moins majestueux Théâtre National pour une petite réception et une interview en direct pour la télévision norvégienne de Masaki Kashiwara.

L’interview d’avère plus difficile à suivre que le buffet, mais nous restons poliment (et coincés derrière la foule) en admirant les peintures et statues de comédiens célèbres. Puis, enfin autorisés à changer de tenue pour aller se promener (on passera la baignade aujourd’hui) avec Andrea, une Osloïte que nous avions rencontrée l’année dernière (pour des explications sur ce gentilé non canonique, voir Wikipédia).

Sur les conseils que nous ont donné les jeunes locaux ce matin, nous allons visiter la célèbre bilbiothèque d’Oslo, qui a une vue imprenable sur le fjord mais aussi de beaux, modernes, confortables et très spacieux espaces pour lire, travailler, faire la sieste ou son shopping. Un petit tour sur le grand toit de l’Opéra plus tard, l’heure de chercher où dîner se pointe doucement.

Nous passerons les détails, les épiques hésitations, les revirements pour cause de plus de place, les tiraillements pour se décider au bout de 10 minutes une fois qu’Aline a déjà choisi en désespoir de cause pour les autres. Passons aussi l’épisode peu glorieux au terme duquel nous sommes partis piteusement d’une table à laquelle nous en étions à consulter le menu, nous sentant fort minables (vive la chanson belge) mais moins fauchés que si nous étions restés. Une réconfortante pizzeria nous a finalement tous rassasiés (portefeuille compris), bien que certains aient trouvé que “ce n’est pas pimenté du tout en fait”, ce qui va devenir une citation mémorable à force de répétition.

Un solide litre de glaces italiennes à partager plus tard, l’heure de dormir et méditer les enseignements de la journée est venue, à défaut de la nuit sous ces latitudes boréales.

Mercredi 21 mai – “Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre” (-algébriste), sauf à ses risques et périls

De plus en plus tôt : ce matin, le départ pour le tram est à 9h10, donc, bien sûr, il se trouve quelqu’un pour arriver au petit-déjeuner à 9h11. Petit-déjeuner relativement efficace puisque nous partons avec à peine 15 minutes de retard, et il s’avère que le point café à l’Université est un peu chiche et que nous avons donc bien fait d’arriver pile à l’heure pour le début des Abel Lectures dans l’amphithéâtre.

Après l’expérience de l’année dernière, les élèves ont pris la précaution d’amener de quoi s’occuper discrètement (hum) une fois passées les 180 secondes intelligibles des exposés d’une heure. Le but de ces lectures est de présenter assez généralement les travaux qui ont valu le prix Abel au lauréat, leur implications révolutionnaires dans différents domaines des mathématiques (ou de la physique mathématique). Tous les présentateurs ne font pas les mêmes efforts pour rendre leur propos abordable ; on observe assez vite un certain nombre de siestes, de sudokus et de mots croisés dans l’assistance, panoplie de survie de tout bon auditeur de conférences de haut vol. Pour les élèves, quelques shortlists IMO ou des fiches de bac d’histoire font tout à fait l’affaire, sans pour autan renoncer trop vite à comprendre quelques bouts de l’histoire à l’écran. Si l’on se fie à la liste des lauréats depuis sa création, la géométrie algébrique est un incontournable du prix Abel…

Entre les présentations, nous allons flâner à la micro-librairie scientifique au milieu du bâtiment, qui propose des ouvrages assez étonnants “expliqués aux bébés” : la mécanique quantique, la relativité générale, le calcul… mais aucun sur la géométrie algébrique, à notre grande déception.

Fin de la séance à 15h : comme il fait nettement moins beau qu’hier, avec un petit vent frisquet bien désagréable, nous décidons de passer les quelques heures avant la soirée de l’Académie, bien au chaud à l’hôtel, par exemple à faire des maths, ou une sieste.

La soirée commence à 19h, avec moins de monde sur le balcon que l’an dernier quand il faisait 25°C, mais nous avons tout le loisir d’admirer les superbes pièces dans lesquelles nous sommes accueillis. Un petit concert de violon et de hardingfele, l’instrument national de Norvège, une sorte de violon qui fait le bruit d’un quatuor à cordes à lui tout seul, ouvre les festivités. Il y a ensuite le classique buffet (heureusement expliqué sur un petit menu à côté, autrement nous aurions été fort mystifiés par la viande d’élan mariné par exemple), puis nous sommes pris à partie par un gentil monsieur de l’Académie qui a un mal fou à croire que Ruirong et David ne sont pas japonais et parlent bel et bien français, devant sa déception nous aurions pu essayer de faire semblant de parler japonais mais cela aurait risqué de vexer les véritables japonais de la soirée. Puis nous rencontrons un normalien français en stage à Oslo (en géométrie algébrique, quelle surprise). Le monde est petit, sapristi, et se rétrécit encore lorsque nous réalisons qu’il connaît très bien le grand frère d’Akin et le petit frère d’Aline, sans parler de plusieurs autres connaissances en commun avec plusieurs d’entre nous. Avec tant en commun, nous palabrons bien sûr jusqu’à nous faire poliment mettre dehors par l’Académie.

Heureusement, il reste quelques trams pour rentrer chez nous dans ce froid de canard.

Jeudi 22 mai – Où l’on improvise une séance de TD

Après une petite grasse matinée pour récupérer de la veille, place au brainstorming pour fabriquer “un petit TD d’initiation aux mathématiques olympiques, à destination des élèves de première spécialité mathématiques du lycée français d’Oslo, qui pourra être fait en petits groupes sur une séance de 20-30 minutes”. Enfin un peu de challenge !

Un jour normal à Oslo : les touristes qui prennent en photo la police montée, qui prend en photo la parade

Bien qu’il soit un peu frustrant de devoir se retreindre dans le niveau et les outils que l’on peut mobiliser, les élèves se prêtent très efficacement au jeu et nous arrivons à compiler assez vite un mini-TD. Les bagages terminés, nous filons déjeuner avant de rentrer récupérer les valises, non sans nous être arrêtés en chemin pour acheter quelques souvenirs. Akin doit nous abandonner pour prendre son avion un peu plus tôt que nous, donc nous arrivons à 5 plus autant de valises au lycée français, étrangement situé aux étages 3 et 4 d’un petit immeuble multifonctions qui comprend aussi des bureaux d’entreprise et un bar, entre autres. Le professeur et les élèves nous accueillent avec un peu de curiosité, mais montrent un grand enthousiasme pour les exercices. Tout le monde se prête si bien au jeu que l’on étire un peu la séance, et que l’on voit beaucoup de déçus de finir si tôt.

Hélas, un avion nous attend, et nous n’arrivons pas trop tôt pour le prendre : le temps de prendre le bus, de trouver le Flytoget, d’arriver à l’enregistrement, de passer les contrôles, d’acheter à dîner, et il nous reste à peine quelques minutes avant d’embarquer. Nous décollons même avec 10 minutes d’avance !

Encore mieux, nous atterrissons avec 45 minutes d’avance, et personne n’est fâché de rentrer pus tôt que prévu après cette longue journée, avant de retrouver nos activités respectives le lendemain.