Samedi 7 juillet : où l’on prend l’avion avec des bagages trop légers
Samedi 7 juillet, il est 10h. Devant le tableau d’affichage du terminal 2E de l’aéroport Charles-de-Gaulle, passent les polos colorés, en rangs irréguliers. Deux bleux ouvrent la marche : Etienne et Arthur (qui arbore pour l’occasion un T-Shirt des IOI aux couleurs de la Russie, histoire de perturber les équipes que nous rencontrerons bientôt… comme des participants des Balkanic Olympiads of Informatics, croisés au hasard des couloirs de l’aéroport de Bucarest), nos informaticiens-combinatoriciens, fraîchement sortis du stage Algoréa, auquel ils participent pour la première fois… comme entraîneurs. Suivent deux T-Shirts plus ou moins blancs : Pierre-Alexandre et Paul, dans l’ordre croissant de moyenne de bac (au grand dam de Paul… langues vivantes obligent). Enfin, Timothée et Baptiste, qui ont pensé au polo rouge, l’éternelle couleur manquante… L’expérience de l’IMO 2017 semble bien avoir porté ses fruits pour nos deux vétérans !
On n’attend pas Jean-Louis, qui travaille déjà dur en Roumanie depuis le 3 pour préparer les problèmes sur lesquels nos chers participants plancheront bientôt… Mais (surprise ?) Pierre-Alexandre s’exclame : “François ?” Oui, ce sont bien François Lo Jacomo et Fabrice Rouillier, qui sont venus prendre quelques photos et souhaiter bonne chance à l’équipe à l’aéroport.
Mais le temps est court, et après avoir fait la connaissance d’une borne automatique fatiguée et revêche, d’une hôtesse de l’air affable qui nous a conduit très gentiment jusqu’au guichet de dépôt des bagages hors-format, où Paul doit laisser son sac (apparemment trop léger pour voyager en soute avec nos grosses valises…), et d’un agent de la sécurité amateur de calcul mental (“39 moins 21 ?”), nous embarquons pour Bucarest.
Après un vol sans encombre (où nous dormîmes, jouâmes aux cartes et fîmes honneur aux paniers-déjeuners restants que Paul n’aurait pas voulu voir gâchés), nous retrouvons l’équipe belge pour une correspondance Bucarest – Cluj-Napoca aussi brève qu’intense. (“Oh, un éclair” Arthur, content de sa place près du hublot) Mais c’est sans doute l’émotion la plus forte de la journée, car nour récupérons ensuite nos bagages sans encombre (contrairement à nos amis belges, dont les valises sont restées à Bruxelles), et après quelques photos, prenons le bus jusqu’à l’hôtel où nous logeons avec une dizaine d’autres équipes : Etats-Unis, Allemagne, Japon, Israël… “Que des pays trop forts” constate Baptiste, avant d’ajouter, inspiré par le canard maléfique (ou son propriétaire ?) : “Heureusement qu’il y a la Suisse !”
Un repas rapide, une courte promenade avec notre fort sympathique guide, Diana, et quelques acclamations footballistiques plus tard, c’est déjà l’heure de se coucher. Demain, réveil à 7h pour une cérémonie d’ouverture qui s’annonce solennelle : si les mesures de sécurité à respecter reflètent la célébrité des orateurs qui déclareront la compétition ouverte, les discours promettent d’être longs…
Dimanche 8 : où l’on récompense ceux qui attendent sagement
Ce matin, après un petit-déjeuner revigorant, l’équipe décolle pour se rendre à la cérémonie d’ouverture dans un bus de ville affrété pour l’occasion. Ceux qui jouent insouciamment au mao ne remarquent pas la garde qui nous ouvre le voie, Baptiste se réjouit de ce début de célébrité.
En terme de renommée, il est vrai que les Roumains voient grand pour nos jeunes Olympiens : la participation de l’équipe à un stage franco-roumain de préparation à Craiova fin mai avait déjà suscité une apparition de nos six poulains, encadrés par Vincent Jugé, à la télévision locale, mais la cérémonie d’ouverture nous réserve d’autres surprises… enfin, pas immédiatement : on part tout de même à 8h45 de l’hôtel (situé à 10 minutes de bus de ville de la salle consacrée) pour une cérémonie qui commencera à 11h. Le temps passe, lentement, entre des parties de cartes et quelques accès d’inspiration architecturale d’Oscar le canard :
Les tentatives d’identification de Jean-Louis dans la tribune des leader (situé juste en face de nous), sont peu concluantes, malgré toute la bonne volonté de Baptiste qui s’agite dans tous les sens, dans l’espoir d’un signe amical du dernier rang, premier siège à gauche en partant des escaliers… Mais il se rassoit bien vite, quand les hauts personnages commencent à défiler sur la scène du grand gymnase improvisé salle de réception, sans doute impressionné par les entrées successives du maire de Cluj, du ministre de l’Education Nationale, de madame la vice-premier ministre et du président roumain… Eh oui, en Roumanie, les mathématiques et les olympiades ont la cote !
Les discours (d’intérêt plutôt décroissant) se succèdent, avec toutefois un sursaut de vitalité de tout l’auditorat à l’apparition de Geff Smith, président adulé des IMO (espérons que le maire de Cluj ne lui en tienne pas rigueur). Les équipes défilent ensuite sur scène, Etienne en tête avec le drapeau français ; un petit handicap quand il s’agit de taper dans la main des ours-mascottes MIMO en descendant du podium ! La cérémonie s’achève sur un spectacle de danse.
Après une séance photo et une distribution de bonbons euphoriques (qui lie Paul d’une brève amitié avec les Costaricains), nous allons déjeuner, et découvrons avec soulagement que même les guides roumains n’aiment pas les chocolats qu’ils nous ont offert à l’arrivée (pas plus que les gâteaux verts au même goût, mais à la ressemblance troublante avec d’anodins moelleux au chocolat). Suit une sieste pour quelques-uns (épuisés par une matinée trop active ?), quelques emplettes à base de petits-beurres, de chocolat et de fruits secs et une promenade pour les autres.
Nous rentrons juste à temps pour repartir visiter la salle de compétition (c’est-à-dire une nouvelle métamorphose de la salle de cérémonie – gymnase), puis retournons dîner à l’hôtel, préparer les sacs plastiques et nous coucher. Demain, les épreuves commencent !
Lundi 9 : le premier jour, des preuves !
Un peu fébriles, nous nous hâtons ce matin vers la fameuse salle d’examen après un petit-déjeuner rapide, dont les tentatives de coiffure de Paul commentées par Timothée détendent heureusement plutôt bien l’atmosphère. Deux petits ratés, pas bien dramatiques, concluent les préparatifs : la montre de Pierre-Alexandre rejoint la poche des “objets interdits” prévue dans mon sac, et Arthur, un peu étourdi ce matin, doit faire un choix difficile entre ne pas avoir de pull et emprunter un sweat aux couleurs jaunes et violettes peu appréciées…
Petite ellipse temporelle pendant que nos chers participants planchent (1h d’attente, 4h30 d’épreuve) et que les deputy leader partent en excursion dans une mine de sel avoisinante. À 14h, c’est la sortie du premier candidat, sous les applaudissements de tous. Dans une forêt de pancartes (cherchons les 8 pays sur les drapeaux desquels un aigle apparaît !), l’équipe se reconstitue au gré d’une foule houleuse. Et au visage d’Etienne se dévoile déjà le drame…
Car la banane fourbe a eu raison de la pochette plastique où notre participant range ses crayons, biscuits, compas et équerres en tout genre. Béante, elle gît entre les mains tâchées de noir. Hélas, elle n’aura vu qu’une première bataille… mais sera morte aux champs d’honneur.
L’envolée épique s’arrête là pour aujourd’hui : après une petite discussion au dîner d’hier soir, deux membres de l’équipe ont décidé qu’ils préféraient ne pas savoir ce qu’avaient fait les autres le premier jour, afin de repartir sans a priori pour la deuxième salve de problèmes, demain matin. Au détail de la plus pure description, je vous propose donc la suite des impressions des uns et autres au prochain épisode.
Pour le sujet, un problème 1 de géométrie, 2 d’algèbre et 3 d’arithmétique ou de combinatoire (demandez à celles et ceux qui l’ont résolu !), ce qui nous laisse espérer des problèmes 4 et 5 de combinatoire et d’arithmétique (ou l’inverse) et peut-être un problème 6 de géométrie ?
Après le déjeuner tardif, l’après-midi se passe en jeux de cartes avec l’équipe israélienne, et s’achève sur un match France-Suisse pluvieux, brillamment remporté 4-3, notamment grâce aux défections de Juraj et de son deputy leader, qui viennent grossir nos rangs.
Espérons que les victoires françaises d’aujourd’hui sont le reflet de celles de demain !
Mardi 10 : toujours autant de problèmes, mais plus de solutions
Nous nous retrouvons auourd’hui un peu plus en avance dans le hall de l’hôtel, ce qui nous évite quelques réprimandes en roumain (de toute façon, les Suisses arrivent toujours après nous… mais l’ordre alphabétique dissimule assez injustement leurs exactions !), et partons de nouveau pour la salle d’examen. Quelques heures plus tard (après une agréable promenade au jardin botanique pour les uns et une randonnée de haute montagne autour de trois problèmes pointus pour les autres), le verdict tombe : un problème 6 de géométrie !
Nos participants ressortent plus détendus qu’hier : serait-ce les courses et les vols de drapeaux auxquels ils ont joyeusement pris part pendant l’heure d’attente avant l’épreuve (apparemment immortalisés par quelques photographies des organisateurs… à suivre), le fait d’être enfin libre de tout emploi du temps et de pouvoir pleinement profiter du match de ce soir, ou encore le soulagement de pourvoir enfin discuter de maths tous ensemble après plus de trois jours d’abstinence ?
Quoiqu’il en soit, les nouvelles fusent dans le bus : on aurait un problème 4 résolu par tout le monde, un problème 5 complet pour quatre élèves et une solution au problème 6 pour Baptiste. Malgré les résultats mitigés du premier jour (quatre copies complètes pour le problème 1, deux pour le 2, et a priori rien pour le 3…), tout le monde est content d’avoir fait quelque chose de mieux aujourd’hui, et Paul, qui a résolu tous les problèmes simples et moyens (1, 2, 4, 5), commence à rêver de châteaux en Espagne…
L’après-midi, une fois n’est pas coutume, une partie de foot s’engage entre les Français, les Suisses et les Syriens (les Israëliens restent perfectionner leurs figures de jonglage à trois et quatre balles), pendant que Jean-Louis et moi corrigeons les copies, séparément puis ensemble. Les discussions sont palpitantes grâce ) la solution “complète” d’Etienne au problème 5, et se finissent tard dans la nuit. J’apprends le résultat du match sur le chemin du retour, tant mieux ! Mais pour nous, le vrai match commence demain à 9h…
Mercredi 11 et jeudi 12 : un zéro prévu et des imprévus
Au beau milieu de notre séjour à Cluj-Napoca, nous commençons enfin à comprendre ce qui nous arrive. Peut-être vous aussi, si vous avez lu assidûment ce compte-rendu jusqu’ici ? Voici un petit test, pour voir si vous avez bien suivi nos pérégrinations et si vous vous imaginez cette journée de coordination et d’excursion conformément à la réalité…
Problème 1. Ordonnez les événements suivants du plus au moins probable (attention, événements qui n’ont pas eu lieu se sont glissés parmi eux) :
- les Français arrivent en retard au départ de l’excursion (qui a été avancé d’une demi-heure), se font tancer en roumain et offrir un petit-déjeuner par des organisateurs qui semblent un peu stressés ;
- la coordination du problème 4 se passe sans problème (même pour la copie d’Etienne) ;
- la coordination du problème 3 est plus longue que prévue, les six zéros que nous proposons étant catégoriquement refusés par les coordinateurs ;
- toute l’équipe ayant été invitée à une réception de l’Institut français de Cluj pour la fête nationale, nous arrivons en uniforme short/sandales/T-Shirt de maths pour le buffet à 20h, coordination pour nous et conférence pour les participants obligent… et personne, nous à part, ne semble parler français ;
- Arthur, héroïque, bataillant avec les plan roumains, les arrêts de bus non annoncés et les batteries récalcitrantes, montre à tout le monde le chemin de l’hôtel ;
- quatre individus et cinq bouteilles de verre (obtenues gracieusement à la réception sus-citée) s’y font filmer par l’équipe hongkongaise, dans une tentative d’interpréter la vie en rose…
Problème 2. Quels éléments se rapprochent de plus de la performance artistique présentée à la réception sus-citée ?
- une exposition de tableaux d’un artiste inconnu ;
- une forme de danse traditionnelle roumaine ;
- de la variété française arrangée pour fanfare militaire et xylophone ;
- ah bon, il y avait une performance artistique ? mince alors, ça devait être en même temps que le dessert…
- la retransmission du match ;
- une rencontre de capoiera.
Question bonus : n’hésitez pas à proposer d’autre pistes herméneutiques, l’interprétation de ce happening n’ayant pas encore été trouvée…
Jeudi, pendant que les élèves partent à la visite de la mine de sel de Turda, la coordination s’achèvent doucement par un problème C aux coordinateurs récalcitrants (qui nous demandent pourquoi, pour un centre et deux points donnés, il existe une similitude de ce centre envoyant l’un sur l’autre, et finissent par nous faire réécrire toute la preuve de Baptiste d’un lemme pourtant explicitement considéré comme classique dans le barème…) Heureusement, à 13h, cerveaux et estomacs crient grace et le 7 demandé est enfin accordé. On s’étonne un peu de n’avoir pas eu à marchander le deuxième point qu’on vient de trouver chez Paul. Tant mieux, chaque point grapillé le rapproche maintenant de la médaille d’or, et on ne s’en priverait pas…
Plus que quelques réunions de jurys, des discours courts et déjà trop longs, et les barres de médailles sont votées. Jean-Louis et moi exultons : Paul aura sa médaille d’or (tout juste !), Baptiste l’argent (comme l’année dernière), et Pierre-Alexandre, Timothée, Arthur et Etienne le bronze. Le fait que tout le monde ait une médaille nous laisse à peine le temps d’être déçus par le classement des pays, où la France est seulement 33ième… étonnament ex-aequo avec la Roumanie.
De retour à l’hôtel, nous félicitons les participants en liesse qui jonglent et jouent joyeusement avec les autres équipes. Le dîner se passe en réflexion sur l’enseignement de la géométrie simple dans la préparation olympique (on aimerait bien, nous aussi, des 42 collectifs aux sempiternels problèmes 1 de géométrie…), le tout néanmoins toujours dans la joie et la bonne humeur. La soirée s’éternise, les conversations se nouent et se dénouent, et sous le ciel étoilé de Cluj-Napoca s’élèvent régulièremment des rires où pointe à peine l’amertume d’un début de fin de l’histoire, comme dans le banquet final d’un album d’Astérix…
Vendredi 13 : on aura vu des jours plus malchanceux…
Aujourd’hui a lui la tant attendue remise des médailles. Le suspense n’est plus sur les barres, déjà annoncée hier soir, mais sur les détails un peu futils de la cérémonie : Paul rentrera-t-il dans le stade réaménagé en salle de cérémonie avec son ballon de foot ? y aura-t-il plus de discours qu’à la cérémonie d’ouverture ? combien de fois apparaîtra le mot “élite” ? combien de rangs de médaillés applaudirons-nous pendant près d’une demi-heure, sur une musique épique passée en boucle ?
Heureusement, quelques surprises nous attendent encore : une partie de foot-taureau improvisée et sur le champ médiatisée par les photographes, qui ont l’air de bien s’ennuyer eux aussi ; un spectacle son-et-lumière qui nous mettrait presque dans la peau de chevaliers Jedi ; une pluie de confettis à laquelle seuls échappent les leaders, une fois encore relégués sur les gradins d’en face ; une soirée de géométrie haletante avec l’ami israëlien de Baptiste ; un tarot de minuit (et encore un peu de géométrie pour les plus courageux).
La nuit veille sur nos champions, qui tombent peu à peu des bras de la Victoire dans ceux de Morphée… Espérons qu’ils se souviendront longtemps de cette semaine surréaliste, et que, si les discours passent vite, les amitiés, la curiosité et l’envie de découvrir le monde (amthématique ou non) leur resteront pour longtemps !
Samedi 14 : jeux de balle, jeux de vandales
Une dernière journée d’adieux, de tapis roulants et d’étiquettes à codes-barres, de chocolats roumains et de petits-beurres (pas de jus de tomate avec la compagnie LOT Polish Airlines…), d’attente et de quelques gamineries, somme toute excusables ? (Baptiste embête Pierre-Alexandre, PA fait des blagues sur la pastèque infinie, Cécile rit à ces blagues, Paul prend la balle en mousse de Cécile, il la passe à Timothée, qui écoute de la vielle à roue avec Arthur (sous les sacarsmes d’Etienne), et Jean-Louis, impassable, distribue les cartes)
Un intermède musical nous fait presque oublier l’heure et demie de retard prise à Varsovie. On atterrit à Paris tard et affamés, mais juste à temps pour qu’Arthur et Baptiste attrapent leurs trains de retour. Une petite pensée pour Timothée, qui reprend l’avion pour rentrer à Toulouse demain !
Ensuite, les vacances reprendront calmement leur cours, à peine troublées par les MYMC qui débutent à Rome mercredi et par la préparation du stage olympique de Valbonne où reviendront petits (comme élèves) et grands (comme animatheurs ou animathrices)…